Découverte lors de la Chic Art Fair en octobre 2011, représentée par MH Gallery (Bruxelles) et revue en février à Miniartextil de Montrouge, l’œuvre de Mai Tabakian a été tel un coup poing en pleine figure !
L’élément premier, le Tissu.
Matière de tous les possibles pour Mai Tabakian qui vient non pas sans contrainte l’apprivoiser, pour mieux habiller, recouvrir, revêtir et protéger un corps, une forme.
Son geste quasi chirurgical fend, coupe, incise, tranche la matière morceaux par morceaux, textures par textures, pour ensuite venir rassembler, réunir, cicatriser et cautériser ces peaux.
Les bouts à bouts prennent forme et viennent de manière prolifique envahir l’espace qu’il soit mural, au sol ou suspendu… angoissant parfois malgré la force de sa palette colorée « tissuale ».
Mai Tabakian, pourriez-vous nous dire comment vous en êtes arrivée à choisir le tissu comme matériau de prédilection ?
J’ai toujours eu une relation très forte, presque charnelle avec le tissu, avec des souvenirs qui remontent à l’enfance quand le toucher est primordial. Ce médium permet aussi de s’immerger dans la couleur, de la toucher, il fait office de seconde peau et surtout il recèle d’immenses possibilités plastiques. Mat, brillant, irisé, satiné, transparent, il est inépuisable et n’a rien à envier aux autres matériaux.
Vous dites que vous utilisez la couleur des tissus comme une palette de peintre, qu’entendez-vous par là ?
Il est vrai que je dis souvent que je peins avec des tissus et j’emploie souvent le terme de palette lorsque je parle des couleurs utilisées dans mes pièces.
Dans mon travail, les textiles ne sont d’ailleurs jamais cousus, ils sont déposés par petites touches sur ce qui me sert de toile. La référence à la peinture est souvent présente dans mes pièces. Mais pour ce qui est du geste, il relève plus de la sculpture, j’incise le support, je le façonne, je contrains manuellement le tissu à prendre la forme désirée, la main est très sollicitée pour sa précision comme pour sa force.
Dans votre travail, nous sommes toujours à la lisière de l’esthétique (attraction) et la torpeur (répulsion) face à vos œuvres, comment expliquez-vous cet entre-deux sous tensions, je vous pose cette question car j’ai en mémoire « La nouvelle Route de la Soie » et « Le sacre du printemps » ?
Ce jeu entre attraction et répulsion est effectivement récurrent dans mon travail.
Dans « La nouvelle Route de la Soie », le motif du cocon, déjà utilisé dans d’autres pièces, illustre bien ma fascination un peu morbide pour les mystères organiques, l’intestinal, le vivant dans ce qu’il a de plus inquiétant. Il me vient directement de la stupéfaction un peu horrifiée que j’aie ressentie, enfant, au Viêt-Nam où j’ai pu assister au processus de fabrication de la soie, les cocons ébouillantés, le fil que l’on déroule, entre émerveillement et dégoût. Ce motif me permet aussi d’évoquer une réalité plus globale. Les cocons, comme enrobés de pétrole, symbolisent la nouvelle donne des échanges économiques liés à cette « précieuse » matière première.
Hommage aux nombreuses chorégraphies nées de la musique de Stravinsky, plus particulièrement celles de Pina Bausch et Angelin Prejlocaj, « Le sacre du printemps » est une ode au cycle éternel de la vie dans ce qu’il a de plus cruel, un sacrifice initiant toujours le renouveau de la nature. Les couleurs les plus vives fleurissent sur la boue.
Le tissu recouvre tout un monde imperceptible à l’œil, que nous cachez-vous ou nous suggérez-vous ?
Le tissu a toujours eu une fonction protectrice, il cache aussi ce qu’on ne veut pas montrer, il instaure un mystère. Dans la mesure où mon travail relève de l’abstraction, le tissu est un allié idéal pour insuffler vie à mes pièces, provoquant le désir de toucher les formes et volumes ainsi créés tout en instillant des sentiments contradictoires allant de la séduction à l’angoisse.
Bientôt vous exposez avec Olivia Barisano à la MH Gallery à Bruxelles pour l’exposition Human Condition, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’œuvre « Atomes crochus ou les affinités électives » que vous présenterez à cette occasion ?
Cette installation se compose de 4 ensembles de 4 éléments que je présente comme des groupes d’observation. Dans chaque groupe, le jeu consiste à regarder ce qui se passe et à identifier les combinaisons possibles, les affinités.
Librement inspirée du roman de Goethe « Les Affinités électives » et de l'expression « avoir des atomes crochus » qui nous vient des philosophes atomistes grecs Démocrite et Epicure, cette installation met en image l'analogie entre les attirances amoureuses qui font et défont les couples et les opérations chimiques qui règlent les liaisons et les précipitations des substances chimiques.
Les jeux de contrastes colorés font également référence au « Traité des couleurs » de Goethe qui, avec sa théorie des couleurs opposées, contredit la théorie trichromatique et fonde la notion de couleur sur l'expérience sensorielle spontanée, révélatrice d'une démarche intérieure.
Avec cette nouvelle proposition, je continue mon exploration des liens entre microcosme et macrocosme, entre le dedans et le dehors.
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