Les questions de FAD (version française)
1.Si vous n'étiez pas une artiste, que seriez-vous ?
Probablement un cuisinier ou une chorégraphe. Je suis totalement fascinée par le travail des grands chefs et je suis accro à la danse contemporaine, comme spectatrice bien sûr. Les deux sont d’ailleurs une grande source d’inspiration pour moi.
2. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail et les idées principales que vous souhaitez exprimer ?
Au départ, il y a le tissu, la découverte des immenses possibilités plastiques de ce matériau fonctionnel par essence, qui habille, protège, recouvre.
Et une nécessité impérieuse : la fragmentation et l'assemblage compulsif et obsessionnel de textiles.
Le geste est aussi très important car pour fabriquer, avant de combler, il faut fendre, inciser le support pour remplir, colmater la blessure avec le tissu, le travail est propre, le geste méticuleux, quasiment chirurgical.
Mon travail relève de l'abstraction et se concentre sur des compositions aussi bien géométriques qu'organiques et de plus en plus, je mélange les deux.
Mon propos est de rendre attirantes les choses qui nous font peur (cf. “La nouvelle Route de la Soie”, “The Wall”...).
J'explore aussi le lien entre microcosme et macrocosme. Je choisis de cultiver cet entre-deux, ce jeu entre attirance et répulsion.
Les textiles m'aident à insuffler la vie dans mes pièces en provoquant l'envie de toucher les formes et les volumes tout en instillant des sentiments contradictoires entre séduction et angoisse.
3. Comment débute votre processus de travail ?
Le processus de création démarre toujours de façon inattendue, comme par surprise. Une chanson qui me touche, un souvenir qui ressurgit, je démarre toujours à partir d’une sensation que j’essaie de transposer visuellement.
4. Considérez-vous le spectateur lorsque vous travaillez ?
Je suis ma première spectatrice et ma priorité quand je travaille est d’obtenir un résultat qui me satisfasse mais je n’oublie jamais que mon travail est destiné à être vu par d’autres. J’aime beaucoup l’incertitude que représente la réaction du spectateur, comment va-t-il recevoir mon travail ? Sera-t-il séduit ou au contraire dégoûté ? Réussira-t-il à découvrir ce que j’ai caché ? Le fait de penser au spectateur final m’aide aussi à mieux comprendre ce que je fais, cela me force à l’analyser, à prendre du recul.
5. Nommez 3 artistes qui ont inspiré votre travail ?
Le choix est difficile car mes goûts sont très éclectiques mais je dirai Hokusai, Francis Bacon et Frank Stella, de grands artistes très différents dans leurs personnalités et l’appréhension de leur travail. Pas directement pour l’inspiration mais pour m’avoir donné envie de devenir artiste.
6. Citez vos 3 derniers artistes favoris.
Je citerai plutôt les 3 dernières expositions qui m’ont marquées ces derniers mois : Infinity de Chiharu Shiota à la Galerie Templon, la rétrospective de Yayoi Kusama au Centre Pompidou, Leviathan d’Anish Kapoor pour Monumenta 2011 au Grand Palais.
7. Qu'est-ce qui définit une oeuvre d'art ?
Telle est La Question !
Les marqueurs identitaires traditionnels de l’œuvre d’art ont été remis en question il y a longtemps (Merci Duchamp !) et je trouve très difficile d’en faire une définition correcte et exhaustive.
L’artiste ne peut décider seul que ce qu’il a fait est une œuvre d’art, la définition, la qualification d’un objet en œuvre d’art passe par le regard des autres. En définitive, les œuvres d'art n'ont aucune autre définition que celle que veut bien leur attribuer le récepteur.
8. En ces temps d'austérité, pensez-vous que l'artiste a actuellement une obligation morale de répondre (réagir) ?
A mon sens, la seule obligation morale qui incombe à l’artiste est la sincérité. A part cela, je ne crois pas qu’un artiste puisse se sentir obligé à faire quoi que ce soit. Cependant, il est évident que chaque artiste est le produit de son époque, de son environnement. Ses propositions, ses œuvres sont toujours influencées par ce qui l’entoure, que ce soit par les technologies mises à sa disposition ou l’actualité mondiale. En effet, même si son travail ne comporte pas de critique ou d’engagement politique, social, l’artiste part toujours d’une réalité, d’un constat, il témoigne de son époque.
9. A n'importe quelle époque, dans n'importe quel endroit, quel est
l'artiste dont vous voudriez habiter le corps ?
Sans hésiter, Pina Bausch quand elle a créé sa version du « Sacre du printemps ».
10. Quel est votre "isme" préféré ?
Exotisme, quand il est défini comme "le charme de ce qui est inconnu".
11. Quelle est la chose la plus intelligente que l'on ait dite sur votre travail ?
Difficile pour moi de décider de ce qui est particulièrement intelligent mais voici une phrase que je trouve assez poétique : " Les œuvres de Mai Tabakian, malgré les couleurs chatoyantes, gaies ou douces, glitter ou pastels, recouvrent sans doute bien de plus inquiétantes ou douloureuses réalités, sentiments ou pensées, comme une forme de lutte contre une cruauté dont nous ne savons pas tout." (Marie Deparis)
12. Et la plus stupide ?
«Celui-là, tu devrais le faire dans une autre couleur. »
13. Quels sont les artistes que vous admirez au point de vouloir les
posséder (voire les voler) ?
Je n’ai aucune envie de faire cela !
14. Vous souciez-vous de ce que votre art coûte ? Expliquez vos raisons
Bien sûr que je m'en soucie, mais, que je vende ou non, je continue à créer, cela n’a aucun impact sur ma façon de travailler. Je ne réfléchis jamais à ce qui pourrait être plus facile à vendre.
Le prix de vente est une donnée incontournable mais je retarde toujours le moment d’y penser, parce que cela m’ennuie beaucoup.
Ce qu’il y a d’étrange avec la notion de coût c’est que c’est à la fois un élément de valorisation de mon travail et en même temps quelque chose de très réducteur. Moi-même, je ne pense jamais au prix d’une œuvre d’art lorsque je visite un musée, un centre d’art ou même une galerie.
15. Si le MOMA, la Tate ou le Centre Pompidou voulaient acquérir une des vos pièces, que souhaiteriez-vous qu'ils prennent ?
Certainement des pièces que je n’ai pas encore réalisées, que je rêve de réaliser et que je réaliserais spécialement pour ces lieux !
16. Quelle est votre prochaine actualité ?
Ma prochaine exposition “HUMAN CONDITION” se tiendra à Bruxelles à la Mathilde Hatzenberger Gallery avec Olivia Barisano du 20 avril au 21 mai 2012.
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