// Le choix fondateur d'un matériau //
Au départ donc, il y a le tissu, la découverte des immenses possibilités plastiques de ce matériau fonctionnel par essence, qui habille, protège, recouvre.
Et une nécessité impérieuse : la fragmentation et l'assemblage compulsif et obsessionnel de textiles. Des textiles abandonnés, des bouts de tissus, petits, grands, abîmés ou pas, laids ou précieux, en tout cas des «laissés pour compte» et l'envie de les emporter au delà des apparences, de créer, de rassembler ce qui est épars.
// Le faire //
Pour fabriquer, avant de combler, il faut fendre, inciser le support pour remplir, colmater la blessure avec le tissu, le travail est propre, le geste méticuleux, quasiment chirurgical.
// Le propos //
Se confronter à l'histoire de l'art, choisir des formes stables et établies pour se les approprier, pour se renforcer, comme un moyen de digérer l'existant, de l'apprivoiser.
Cette appropriation de formes connues se fait sans cynisme, sans critique dans une interprétation ludique des incontournables.
J’élabore mon propre langage à partir de ces emprunts et hommages mais ma démarche s’articule autour d’un questionnement sur l’angoisse. Mon travail s'est aujourd'hui éloigné de l’appropriation de formes historisées (Frank Stella, Bridget Riley, Sonia Delaunay, Arts décoratifs...) pour se concentrer notamment sur des compositions organiques, un moyen de rendre séduisant ce qui fait peur (cf “La Route de la soie”, “la fusion”...).
Un motif a priori inquiétant sera ainsi traité avec des couleurs sucrées, très vives ou des pastels sages, les formats ronds viendront en contradiction avec le danger suggéré.
Larves, vues de microscopes, défaut de pigmentation, viscères, malformations ou au contraire confettis, bonbons, dragons ? Il n'est pas nécessaire de trancher.
Je choisis de cultiver cet entre-deux, ce jeu entre attirance et répulsion. Le tissu joue son rôle en mettant à distance toutes ces choses qui pourraient provoquer le dégoût.
Dans une autre série, j'utilise les formes créées par un spirographe (cf “L'éternel manège”, “Le noyau pneumatique”...). Avec ces motifs, je continue à entretenir l’ambiguité entre, d'un côté, le procédé si plaisant à réaliser - un jeu de dessin qui me ramène à l'enfance - et de l'autre, ce qu'il donne finalement à voir une fois terminé : des courbes mathématiques qui se déroulent à l'infini, sans commencement ni fin détectable... retour à l'enfermement, à l'angoisse.
La montée en puissance de l'or et de l'argent dans ma palette témoigne de ma réflexion sur le matérialisme et l'importance de l'image dans notre société ainsi que sur la frontière ténue qui existe entre la séduction et la vulgarité. L'or et l'argent ont aussi cette particularité fascinante de diffracter la lumière et ainsi de modifier la réalité.
Je peins avec des tissus. En les utilisant à la place de la peinture, j'accepte les contraintes formelles qu'ils m'imposent mais je ressens aussi toute la maîtrise que m'offrent ces matériaux qui jamais ne tachent.
M.T.